Pourquoi l’Histoire de la police est-elle récente ?

Culture du secret ou désintérêt des historiens ?

En quittant le « secret de gouvernement » à partir de la Révolution Française, la police est devenue un sujet de discussions dans la naissante République. Vincent Milliot, historien spécialiste de l’histoire de la police nous explique qu’elle « devient alors l’objet d’un vaste débat public et doit se soumettre à l’épreuve d’une certaine transparence ». Cette volonté, se traduit par une « obligation de rendre des comptes », en rendant entre autre, les archives policières accessibles. Mais la consultation des documents resta constamment entravée par les versements partiels, « lacunaires », leurs destructions volontaires et involontaires ou bien par « leur accès verrouillé pour les périodes les plus contemporaines »(1). Jusqu’aux années 1990, ces conditions d’accès aux archives ont cadenassé les relations entre les historiens et l’institution policière sur ton de méfiance ou de découragement. 

Alors qu’en Angleterre, le mythe du bobby rendait le travail historique sur la police plus attractif, les historiens français restaient indifférents à l’analyse de l’institution policière. 

« Peel House, l’école des bobbies… »  Police Magazine (tome 433 ; 1939) — Page 8, 9

« Peel House, l’école des bobbies… »  Police Magazine (tome 433 ; 1939) — Page 8, 9 disponible sur Criminocorpus.org : [https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/page/104128/].

Le bobby, figure du policier anglais, est très populaire et donne à la police une image positive. En comparaison, la police française souffre d’une mauvaise image.

Planche de slogans dans l’Enragé, 2e trimestre 1968, dans Vincent Milliot et al, Histoire des polices en France. Des guerres de religions à nos jours, 2020. Parmi les slogans, on peut lire « CRS = SS », « Si vous voyez un CRS blessé Achevez le! ».

Selon Quentin Deluermoz, la police en France, en lien avec l’histoire politique française, était un objet d’une « ambivalence » certaine qui le rendait « sale » dans le sens « indistinct », c’est-à-dire, un objet dont on ne connaît pas les contours et qui n’est qu’une ombre dans l’ombre(2). Vincent Denis évoque cette idée dans le contexte des années 1970 et 1980 : « Après la guerre d’Algérie et mai 68, la police n’a pas bonne presse et fait longtemps figure d’objet « sale » pour les sciences sociales. »(3).

Couverture du numéro Mars-avril 1994 des Annales, Histoire Sciences Sociales. Les thèmes affichés sont « Littérature et histoire » et « Terres d’utopie ». [https://www.persee.fr/issue/ahess_0395-2649_1994_num_49_2].

De plus, le mouvement de l’Ecole des Annales lancé dans les années 1930, délaissant l’histoire politique et événementielle pour une histoire sociale et le temps long, a contribué à éloigner les chercheurs de ces questions. Vincent Milliot relève que « Le paradoxe d’une histoire sociale florissante est alors l’usage intensif qui peut être fait des archives de la justice et de la police, si riches d’informations, sans que l’on se préoccupe le moins du monde, sauf rares exceptions, de comprendre mieux ceux qui étaient responsables de leur production et les rouages dans lesquelles cette documentation s’insérait. »(4).

En conséquence, la production d’informations sur la police se fit par des personnes connaissant l’institution. Comme le note Jean-Marc Berlière « Anciens policiers ou gendarmes, journalistes, militants politiques ou syndicaux, victimes… – ont en commun de ne pas avoir eu recours aux archives et de reprendre ou diffuser des aspects partiels, subjectifs, des stéréotypes et des légendes. »(5). Ces textes, non conformes aux règles admises par l’écriture historique, ont également conforté cette vision « sale » de l’objet police. Jugés corporatistes ou apologétiques(6), ils ont confirmé pour certains la méfiance qu’il fallait avoir envers la police. Ainsi, il existait un fossé entre l’université et l’institution policière.

Couverture du livre Ce que fait la police.
Sociologie de la force publique.
Publié par Dominique Monjardet en 1996.
Couverture du livre Surveillez et punir. Naissance de la prison. Publié par Michel Foucault en 1975.

Or, depuis les années 1980, le philosophe Michel Foucault, dans ses écrits sur les systèmes d’incarcérations et les notions de « gouvernementalité », ou encore Dominique Monjardet, avec ses travaux de sociologie sur les policiers(7), ont insufflé un nouveau regard en instituant la police comme un objet scientifique, légitime à l’analyse.

Dans ce courant, Jean-Marc Berlière est la figure de proue chez les historiens de la police. Suivent d’autres auteurs tels que Vincent Milliot, et Jean-Noël Luc pour ses travaux sur la gendarmerie. Les années 1980 marquent le retour de l’histoire politique, mêlée au social et au culturel. Dans les décennies qui suivent, la police est l’objet d’une histoire institutionnelle mais également d’une histoire sociale. Elle est vue non plus comme une entité constituée de secrets, mais comme un « espace d’interactions »(8), entre les agents de la force publique, de l’administration, du gouvernement, de la population dans son ensemble. Cette nouvelle vague, permet aux chercheurs de mieux définir la police. 

Les recherches dans les champs de la sociologie, de l’anthropologie, de la psychologie et de l’histoire ont rendu compte du caractère polysémique de la police à travers les sociétés anciennes et récentes, et de la complexité de l’institution et des individus qui la composent, des échanges entre pays, régions, villes. Dès lors, pour un thème de recherche qui n’a que 30 ou 40 ans, le travail, déjà déblayé en grande partie par ces néo-spécialistes de la police, reste conséquent.

Notes

(1) Vincent Milliot et al., Histoire des polices en France. Des guerres de religion à nos jours, Belin, References (Paris, 2020). p. 642.

(2) « France Culture. Les Lundis de l’histoire. Policiers dans la ville », 10 septembre 2012. Présentée par Michelle Perrot

(3) Vincent Denis, « L’histoire de la police après Foucault. Un parcours historien. », Revue dhistoire moderne contemporaine 60-4/4 bis, no 4 (2013): 139‑55.

(4) Milliot et al., Histoire des polices en France. Des guerres de religion à nos jours. P. 642-643.

(5) Pour en savoir plus sur cette production, se référer aux notes de bas de pages dans Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices de France: De l’Ancien Régime à nos jours. (Paris: Nouveau Monde, 2013). P. 6

(6) Apologétique signifie qui fait l’apologie de quelque chose, c’est-à-dire défendre un discours, une idée, un groupe etc. Le corporatisme suit la même idée mais pour une catégorie professionnelle donnée.

(7) Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison., Gallimard, Bibliothèques des Histoires, 1975; Dominique Monjardet, Ce que fait la police (La Découverte, 1996), https://doi.org/10.3917/dec.monja.1996.01.

(8) « France Culture. Les Lundis de l’histoire. Policiers dans la ville ». Présentée par Michelle Perrot, Intervention de Quentin Deluermoz

Bibliographie

Berlière, Jean Marc, Histoire de la police. Quelques pistes de réflexions sur l’historiographie française, Criminocorpus, 2008. https://journals.openedition.org/criminocorpus/73

Berlière, Jean-Marc, et René Lévy. Histoire des polices de France: De l’Ancien Régime à nos jours. Paris: Nouveau Monde, 2013.

Denis, Vincent. « L’histoire de la police après Foucault. Un parcours historien. » Revue dhistoire moderne contemporaine 60-4/4 bis, no 4 (2013): 139‑55.

Foucault, Michel. Surveiller et Punir. Naissance de la prison. Gallimard. Bibliothèques des Histoires, 1975.

« France Culture. Les Lundis de l’histoire. Policiers dans la ville », 10 septembre 2012.

Milliot, Vincent, Emmanuel Blanchard, Vincent Denis, et Arnaud-Dominique Houte. Histoire des polices en France. Des guerres de religion à nos jours. Paris: Belin. References, 2020.

Monjardet, Dominique. Ce que fait la police. La Découverte, 1996. https://doi.org/10.3917/dec.monja.1996.01.

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