Edmond Albius : l’esclave de douze ans qui révolutionna la culture de la vanille

Dans un milkshake, un rhum arrangé, une crème brûlée ou glacée, il y a de la vanille. Aujourd’hui, la planète entière en consomme, que ce soit sous sa forme naturelle ou industrielle, la vanilline. Mais saviez-vous que l’on doit le développement de la culture de la vanille dans le monde à un jeune esclave de douze ans ? Retour sur la découverte géniale de Edmond Albius.

Une histoire de la culture de la vanille

Avant d’être un élément essentiel d’un bon cannelé bordelais, la vanille est originaire du Mexique. Au XVIe siècle, les Européens colonisent la région, ce qui permet à une petite communauté de botanistes de découvrir une flore très riche. La première trace dont on dispose au sujet de la vanille est un écrit d’un missionnaire, Barnardino de Sahagun, en 1560. Il parle alors de « tlilxxochtil ». Vous n’en comprenez pas la signification ? C’est normal, c’est du nahuatl, la langue des Aztèques. C’est à Charles Plumier, un naturaliste français que l’on doit le nom de « vanilla » vers la fin du XVIIe siècle.¹

Sa commercialisation commence au siècle suivant, où elle s’introduit à la table des Européens et des Européennes pour accompagner le chocolat chaud. Marie-Antoinette l’utilise même pour ses parfums. Avant 1841, la vanille est un quasi-monopole mexicain. La région domine alors le marché mondial. La cause de ce règne sans partage est la spécificité de la culture de la vanille qui nécessite la pollinisation par des abeilles locales : les Melipona, impossible en dehors des terres mexicaines. Dans d’autres régions du monde, la vanille fleurit mais ne donne aucune gousse. Cette domination du commerce de la vanille par le Mexique, contrôlés par les Espagnols, commence à faire des envieux en Europe et dans le monde. 

La découverte de Charles Morren

C’est ainsi que les botanistes européens vont naturellement s’intéresser à la pollinisation artificielle de la vanille. Comment l’homme pourrait-il reproduire le geste des Melipona ? Charles Morren, professeur à l’université de Liège, réussit pour la première fois ce procédé en 1836 dans une serre qui reproduit au mieux le climat d’Amérique Centrale. Marie Morren, son épouse, se charge de la promotion de sa découverte dans des salons horticoles, mais la gousse est si odorante que certains visiteurs font des malaises. Trop peu efficace, la vanille produite par Charles Morren est un échec et ce qui aurait dû être un séisme, n’a été qu’une secousse. Pourtant, en 1841, un jeune esclavisé de l’île Bourbon (l’Île de la Réunion aujourd’hui), va bouleverser la culture de la vanille.

source : lithographie de D. Castellini d’après C. E. Liverati, 1841

La révolution de Edmond Albius

Edmond est un jardinier de la plantation Bellier-Beaumont, à Saint Suzanne, aux connaissances particulièrement développées sur le monde des plantes. Alors que son propriétaire s’agace d’un plant de vanille qui ne fleurit pas, Edmond, douze ans, réussit à trouver les organes mâles et femelles et les mettre en rapport pour produire des gousses³. Loin des serres chauffées, le jeune esclave, motivé par son propriétaire, fait la tournée des plantations de l’île pour présenter sa manipulation⁴. Évidemment, certains tentent de s’approprier sa découverte, comme le botaniste blanc Jean-Michel-Claude Richard, mais de nombreux témoignages, dont celui de son propriétaire, font conserver à Edmond la paternité de sa découverte. Devenu Edmond Albius à l’abolition de l’esclavage en 1848, il devient le symbole d’un rapport de force inversé où c’est le Noir qui enseigne aux Blancs, le réduit en esclavage qui apprend aux hommes libres. Sa découverte fait grand bruit sur l’île et au-delà, mais sans qu’on y attache son nom, ni celui d’un autre, symbole de la dépossession dont il a été malgré tout la victime. Alors pourquoi la méthode d’Albius a marché et non celle de Morren ? Malgré le peu d’informations dont on dispose, la méthode Morren était complexe car elle nécessite du temps et de nombreux outils. Albius pouvait faire toute la démarche simplement avec une aiguille et en quelques secondes. L’île Bourdon s’enrichit de ce nouveau commerce, et sa production passe de 27 tonnes exportées en 1862 à 200 tonnes en 1898. Malheureusement pour lui, ce succès n’empêche pas Edmond Albius de mourir dans la pauvreté en 1880.

 

Source: VOLPER Serge, « Les épices : Vanille et Griofle », dans : Une histoire des plantes coloniales : Du cacao à la vanille, Versailles, Éditions Quae, 2011.

Le développement de la culture coloniale française de la vanille

Sa découverte lance le processus de mondialisation de la vanille. En 1860, la France devient le premier producteur mondial de vanille et dépasse le Mexique, aidée par une demande européenne croissante. Aujourd’hui, la vanille est surtout consommée sous forme de vanilline⁵ en raison de son prix nettement moins élevé qu’une gousse de vanille. Un coût qui s’explique par le travail très important qui entoure leur production : contrôle rigoureux de l’ensoleillement, du taux d’humidité, pollinisation manuelle, séchage… Après une nette période de domination économique, l’île de la Réunion est dépassée par Madagascar au XXe siècle qui règne encore aujourd’hui sur le marché de la vanille. Cela n’empêche pas les Réunionnais et Réunionnaises d’entretenir de nos jours un rapport unique avec la vanille. 

Aujourd’hui, Edmond Albius est reconnu pour son travail sur l’île de la Réunion par un petit mémorial édifié en 2004 à Sainte-Suzanne. On y retrouve une statue d’Albius, une liane de vanille à la main par l’artiste Jack Beng-Thi. Encore employée par les cultivateurs et cultivatrices, sa méthode et son histoire demeurent encore trop peu connues.

Jules BERNARD

Notes de bas de page

¹ Selon le rapport de la FAO, les Etats Unis sont premiers avec 21% des importations mondiales, suivi par le Royaume-Uni (14%), la France (12%), l’Allemagne (7%) et le Canada (6%) URL: https://www.fao.org/faostat/fr/#rankings/countries_by_commodity_imports

² C’est l’accumulation de leurs travaux qui permet de comprendre que la vanille est de la famille des orchidées, la seule comestible ; et que la vanille se compose de trois variétés : palifonia (la plus raffinée), pompona (la plus charnue), tahitens.

³ Témoignage de Ferréol Bellier-Beaumont en 1841 : « Me promenant avec mon fidèle compagnon [Edmond], j’aperçus sur le seul vanillier que j’eusse alors une gousse bien nouée. Je m’en étonnai et la lui fis remarquer. Il me dit que c’est lui qui avait fécondé la fleur. Je refusai de le croire et passai. Mais deux ou trois jours après je vis une seconde gousse […] Je demandai alors comment il avait fait. Il exécuta alors devant moi cette opération que tout le monde pratique aujourd’hui. L’intelligent enfant avait su discerner, dans la même fleur, les organes mâles et femelles et les mettre convenablement en rapport. »

⁴ La vanille Palifonia est appelée depuis vanille Bourbon

⁵ La vanille synthétique est identifiée en 1858 par le chimiste français Théodore-Nicolas Gobley. Sa structure moléculaire est déterminée en 1874 par les allemands Ferdinand Tiemann et Wilhelm Haarmann. Grâce à eux, une usine à Holzminden devient la première à produire de la vanilline synthétique en 1876. Dans les années 1920 arrive l’éthylvanilline, nouveau produit chimique à l’arôme le plus intense. Avec la baisse des prix de la vanilline chimique au XXe siècle, les vanilles de synthèse prennent rapidement le dessus.

Bibliographie

JENNINGS Eric, « La vanille à la conquête du monde », L’Histoire, n°494, avril 2022.

URL: https://www.lhistoire.fr/la-vanille-%C3%A0-la-conqu%C3%AAte-du-monde

JENNINGS Eric, « La vanille et la vanilline », dans : SINGARAVELOU Pierre et VENAYRE Sylvain, l’Épicerie du Monde, Paris, Fayard, 2022, p.87 à 91. 

LEVY-CHAMBON Anne-Sophie, La vanille Bourbon un patrimoine inestimable, ASLC Productions, 2018. 

VOLPER Serge, « Les épices: vanille et griofle », dans : Une histoire des plantes coloniales : Du cacao à la vanille, Versailles, Éditions Quae, 2011, p.132-143

URL : https://numba.cirad.fr/ark:/12148/bpt6k9110403z/f1.item.texteImage

Le site internet du Musée de la Villèle, URL: https://www.portail-esclavage-reunion.fr/lieux-de-memoire/memorial-a-edmond-albius/ 

Pour en savoir plus : cf NumBA, la bibliothèque numérique du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement ) agronomie tropicale.  

URL : https://numba.cirad.fr/numba/?mode=desktop

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