En Mer Méditerranée orientale, une île est convoitée par tous les pays de la région depuis l’Antiquité : Chypre. Également appelé l’île de l’amour parce que, selon la légende, Aphrodite, déesse de l’amour y serait née, cette île serait plutôt aujourd’hui celle de la division. Mais pour comprendre la géopolitique de Chypre aujourd’hui, il est important de savoir ce qu’il s’est passé au siècle dernier afin de comprendre pourquoi on en est arrivé là.
De la colonie britannique à l’invasion turque
En 1878, la Royaume-Uni s’empare de cette île contrôlée alors par l’Empire ottoman. On retrouve deux communautés : les chypriotes, de culture et langue grecque, en large majorité ; et les chypriotes, de culture et langue turque, en forte minorité. Dans les années 1950, des tensions émergent : les chypriotes grecs veulent l’enosis, l’unification avec la Grèce. Cependant, les britanniques veulent conserver ce territoire stratégique du Proche-Orient, et pour empêcher cela, ils sollicitent les chypriotes turcs. Finalement, la solution trouvée est l’indépendance en 1960 avec une constitution interdisant une incorporation de l’île à la Grèce ou la Turquie.
Cependant, les tensions restent fortes entre les deux communautés. l’ONU intervient une première fois en 1964 en faisant venir des casques bleus et une ligne verte fut tracée. Mais 10 ans plus tard, la situation s’envenime encore plus car des chypriotes grecs nationalistes font un coup d’État et commencent à massacrer les chypriotes turcs. La Turquie décide alors d’intervenir par le nord et descendre jusqu’à la ligne verte, appliquant la politique voulue par les chypriote turcs : le taksim, la partition de l’île. Le but de Ankara est de sauver les chypriotes turcs, forçant les chypriotes grecs du nord à fuir au sud, laissant derrière eux leur maison et la plupart de leurs biens. Les chypriotes turcs n’étant pas en sécurité au sud font le chemin inverse. La mission Attila permit à la Turquie d’aller jusqu’au nord de Nicosie, coupant la ville en deux, faisant de cette dernière la dernière capitale divisée au monde encore de nos jours.
Les Sovereign Base Area (SBA) : le Royaume-Uni aux portes du Moyen-Orient
Si en 1960, le scénario de l’indépendance a permis aux britanniques de conserver des terrains militaires, que l’on appelle Sovereign Base Area (SBA). Ils doivent se conformer sur certains points à la souveraineté de la République de Chypre, notamment une libre circulation. Elles permettent au Royaume-Uni d’être à proximité des points chauds du globe comme le conflit israélo-palestinien ou auparavant la guerre en Irak. Nicosie suspecte que les États-Unis les utilisent, chose normalement interdite, Londres ne peut prêter ses bases à d’autres pays.
Chypre du nord : un Etat qui n’existe pas
En 1983, lié à la critique de leur stationnement sur l’île, la Turquie décide de faire de leur zone d’occupation un nouvel État : la République Turque de Chypre du nord (RTCN). Uniquement reconnu par la Turquie, les autres pays refusent toujours de reconnaître cet État, considérant qu’il s’agit d’une partie de la République de Chypre illégalement occupée par la Turquie. Pour Ankara, la RTCN, tenant plus d’une région autonome turque, est stratégique : la Zone Économique Exclusive (ZEE) de la RTCN permet grandement d’agrandir son espace de souveraineté maritime par le Sud, compensant l’empiétement grec à l’Ouest. Ankara a aussi eu recours à la colonisation, liée à la faible densité du Nord depuis 1974. Il y a eu une repopulation provenant d’Anatolie, occupant désormais avec les chypriotes turcs les maisons abandonnées par les chypriotes grecs.
Une réunification possible ?
En 2003, 1 an avant que le sud de Chypre rejoigne l’Union Européenne, la question de la réunification a été reposée. Si les chypriotes turcs étaient en faveur, les chypriotes grecs n’ont voulu de l’accord proposé car il ne dédommage qu’une relative partie d’entre eux. Cependant, pour aller dans cette direction, le président nord-chypriote de l’époque a décidé d’ouvrir la frontière, permettant pour la première fois depuis 29 ans d’aller de l’autre côté. Aujourd’hui les deux Chypres sont bien différentes. Au Sud : un paradis fiscal bénéficiant des aides européennes. Au Nord : sous embargo international et où l’armée turque est encore présente, prêt à défendre les chypriotes turcs et surtout ses intérêts. Ce dernier point est principalement l’obstacle à la réunification, la Turquie ne voulant pas perdre son avant-poste en méditerranée.
La partition de Chypre n’est pas la conséquence mais bien la cause de la haine et de la rivalité gréco-turque. En effet, avant 1974, Ankara et Athènes avaient de bonnes relations diplomatiques mais l’invasion turque a cristallisé une véritable tension encore palpable de nos jours. La république de Chypre et Ankara ayant rompu leurs relations diplomatiques depuis ces évènements, l’un voulant conserver la situation actuelle et l’autre un retour à la juridiction d’avant 1974, il semble que le tampon onusien et ses casques bleus restent sur l’île pour encore longtemps.
Nicolas BREAU
Bibliographie et sitographie :
Akçali, E. (2010). Chypre : un enjeu géopolitique actuel. Paris : L’Harmattan. (Collection Histoire et perspectives méditerranéennes), 356 p.
Mirante-Psaltakis, F. K. (2011). Chypre: un enjeu prépondérant de L’équilibre géopolitique et géostratégique est-méditerranéen. Études helléniques / Hellenic Studies, volume 19, n°2, p. 23–62.
Richarte, M.-P.(1995). La partition de Chypre : étude géopolitique en Méditerranée orientale. Université Paris-Sorbonne, 481 p.
Nivelle-Cardinale.S. (2023). La Turquie ou la tentation du pouvoir en Méditerranée [documentaire]. ARTE https://www.youtube.com/watch?v=ZYsc9YQl66A
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