Les rues privées du grand quartier Chantenay-Bellevue-Sainte-Anne : déconstruire l’image de l’espace fermé entretenu

Si la voie privée est, dans l’imaginaire populaire, réservée aux plus riches du monde urbain, il n’en convient pas de façon universelle. Il n’est pas rare de pouvoir passer à Nantes par une rue privée, car elle représente un tiers de la voirie. Il n’est pas non plus rare d’imaginer ces espaces bien entretenus ; or la réalité du terrain que nous avons analysé lors d’une étude sur les rues privées du grand quartier Chantenay-Bellevue-Sainte-Anne montre un état de la voirie privée plus nuancé, bien que ce phénomène s’intensifie et se justifie dans une quête de sécurité et de tranquillité.

Des voies en quartier plutôt populaire fermées ?

Les rues privées s’inscrivent dans « une réalité complexe et plurielle » (F.Madoré, géographe et directeur du laboratoire Espace et Sociétés Nantes (ESO), 2021) dans la mesure où la classe sociale ne saurait expliquer la présence de plus ou moins de voies privées. En l’occurrence, d’après les chiffres de l’INSEE, ainsi que les travaux sur les classes populaires (Raimbault, Batardy et Rivière, chercheurs du laboratoire ESO) sur la métropole, le grand quartier Chantenay-Bellevue-Sainte-Anne s’équilibre avec, à l’ouest, des IRIS (Ilots Regroupés pour l’Information Statistique) populaires (Mendès France et Lauriers) et à l’est des IRIS plus aisés (Mairie de Chantenay-Jean Macé-Salorges Sainte-Anne). Pourtant, le nombre de rues privées à Mendès-France (13) dépasse celui de Salorges-Sainte-Anne (12). 

D’autre part, 82% des voies privées du grand quartier sont ouvertes (figure 1), ce qui vient nuancer l’image de la voie fermée par une barrière ou un portail. A défaut, nous noterons tout de même la présence importante de signalétiques mentionnant le caractère privé de la voirie (annexe 1).

Des voies en impasse, en boucle, ou traversante, aux états différents

La majorité de la voirie privée du grand quartier Chantenay-Bellevue-Sainte-Anne est goudronnée, cependant, certaines ne le sont pas (figure 2). Cela relève d’un choix des propriétaires en matière d’entretien de la voie privée que nous supposons justifié par le coût trop important du goudronnage, sinon de l’inutilité de cette action au regard des usages de la rue. Toutefois, nous identifions par cela que selon les voies, l’entretien varie et ce au sein d’un même grand quartier.

En effet, nous avons remarqué parmi les 40 impasses, les 8 voies en boucle, et les 19 voies traversantes de notre zone d’étude, la présence de fissures, de végétation ainsi que de nids- de-poule (annexe 2). Cela ne témoigne pas forcément d’un mauvais entretien par les propriétaires, excepté pour les creux dans la voirie. La végétation, par exemple, peut être laissée par choix commun, formant ainsi une bordure plus colorée que le simple trottoir, comme l’illustrent les plantes le long du chemin de la Boucardière (figure 3).

À travers les différentes rues privées, il est aussi flagrant pour certaines de voir une démarcation avec la voie publique en matière d‘entretien. Le chemin de la Muse (figure 4) en témoigne, avec d‘un côté une voirie publique sans dommage apparent, de l‘autre, le départ d‘une voie privée au goudron vieilli et fissuré. L’ensemble repose sur des choix de propriétaires qui ne sauraient s’apparenter à l’image de la rue privée entretenue. Ces choix sont aussi visibles dans l’entretien de la signalétique qui est parfois détériorée comme celui des plaques d’égouts ou lampadaires initialement construits par l’acteur public mais aujourd’hui à la charge des propriétaires. François Madoré évoque des « arrangements » entre les propriétaires et l’État à ce titre. Ainsi, les services publics étendent leurs travaux à certaines zones privées, une opportunité pour les propriétaires, mais cela pose tout de même un problème juridique, sinon d’éthique.

Vers une fermeture progressive ?

Le phénomène des rues privées est en extension, d’abord pour le bénéfice d’une place de stationnement réservée, chose qui importe dans des métropoles attractives comme Nantes. Mais de plus en plus, l’argument de la sécurité vient justifier l’option privée. Si depuis la crise du covid, différents discours ou statistiques prônent un sentiment d’insécurité important à l’échelle globale, il faut concevoir le choix des propriétaires pour une rue privée dans un contexte plus local. Au cours de notre étude, quelques résidents d’environ 50 à 70 ans (acceptation large) ont témoigné de l’insécurité croissante dans leur quartier. Des affaires de délinquance à la consommation de drogues, la proximité avec des quartiers populaires comme celui de Bellevue inquiètent. Des mesures sont alors prises telles que la fermeture de rues publiques ou la transformation d’une autre rue autrefois traversante en impasse avec des restrictions de circulation. Cette fermeture interroge notamment lorsque dans d’autres pays comme au Brésil à Recife, les rues privées sont bien plus barricadées.

Marius Linard et Nicolas Breau

Annexes :

Bibliographie :

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