La guerre actuelle, reliant la Russie et l’Ukraine, provoque des réactions de choc, d’effrois et de terreur, dans la majorité des pays du globe. En conséquence, les acteurs de la communauté européenne s’investissent à sanctionner la Russie. Or, cette escalade des tensions n’est pas soudaine, elle est le point culminant d’une histoire conflictuelle entre les deux puissances et d’un encadrement juridique insuffisant. Aussi, les Accords de Minsk constituent le soutien principal de cette situation tragique.
Les Accords de Minsk du 5 septembre 2014 pour le premier et du 12 février 2015 pour le second, ont constitué un ensemble de mesures visant à pacifier la relation entre l’Ukraine et la Russie. Centrés sur l’interdiction du recours à la force et la cessation des menaces russes dans l’Est de l’Ukraine et particulièrement les régions du Donetsk et du Louhansk.
En cause dans ce conflit russo-ukrainien, la possibilité pour l’Ukraine de ratifier l’Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne mais son empêchement par les pressions politico-diplomatiques russes exercées sur le président Ukrainien pro-russes, Viktor Ianoukovitch. L’action coercitive russe a eu pour conséquences la fuite du président Ukrainien et le soulèvement d’une population ukrainienne pro-européenne pouvant mettre en péril les stratégies politiques et économiques russes.
À terme, ces accords avaient pour objectif la pacification des relations entre l’Ukraine et la Russie, or nous constatons que le conflit est bien plus difficile à encadrer avec la situation actuelle.
Pourquoi l’application des Accords de Minsk illustre-t-elle la complexité des rapports russo-ukrainiens ?
Afin d’y répondre, il advient d’une part, de comprendre les ressorts historiques de ces accords, d’autre part de comprendre le texte juridique et son application.
Depuis le début du conflit russo-ukrainien se succèdent des manifestations ainsi que des interventions d’ordre militaire et diplomatique.
En effet, après le 21 novembre 2013, des manifestations pro-européennes s’organisent en Ukraine : l’ «Euromaïdan», menant à la destitution du président pro-russes Viktor Ianoukovitch et la mise en place d’un nouveau gouvernement Ukrainien, le 22 février 2014.
Cependant, avec la réunion d’un nouveau gouvernement et des discours pro-européens exhalés par le Maïdan, l’Accord de Kharkov se trouvait sous la menace d’un revirement politique et diplomatique en faveur de l’Union européenne. Car, avec cet accord établi en avril 2010, la flotte russe voyait sa présence en Crimée prolongée et octroyait à l’Ukraine un rabais sur le prix du gaz. Alors, pour ne pas risquer de perdre ses intérêts, la Fédération de Russie décide d’envahir la péninsule de Crimée en Ukraine en février et mars 2014.
C’est dans ce fond de discordes, que se déclare la guerre du Donbass, une guerre hybride ou irrégulière qui voit s’opposer à partir d’avril 2014 dans la région orientale de l’Ukraine – comprenant deux nouvelles entités, les Républiques Populaires autoproclamées de Lougansk et du Donetsk – des pros-russes ainsi que la Russie face au gouvernement Ukrainien. Par ailleurs, c’est cette guerre que les Accords de Minsk vont plus particulièrement concerner.
Effectivement, le premier accord a eu lieu le 5 septembre 2014 à Minsk, capitale de la Biélorussie, avec les signatures des participants au Groupe de Contact trilatéral– se composant des représentants de la Fédération de Russie et de ceux de l’Ukraine ainsi que de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)–puis des Républiques Populaires du Louhansk et du Donetsk.
Ce premier accord, bien qu’il ait diminué l’intensité des combats dans la zone orientale de l’Ukraine, n’a pas permis leur cessation. Il a même échoué entre décembre 2014 et janvier 2015, conduisant à l’élaboration et la signature du second accord de Minsk le 12 février 2015 en compagnie des mêmes parties signataires que pour le premier. “Minsk II” était censé compléter le premier accord et non le remplacer. Par ailleurs, il ajoute des précisions sur les délais et précautions à adopter afin d’établir une paix.
Ainsi, les deux parties se devaient de respecter un cessez-le-feu et retirer leurs troupes ainsi que leur matériel militaire.
Ces accords sont un échec dans la mise en œuvre des mesures qu’ils prévoient. Et, même les rares réussites sont à relativiser, à l’image de l’échange des otages qui, bien qu’ayant eu lieu entre les deux camps, ne l’a été que partiellement.
Car pour le reste, la Russie a continué ses interventions militaires dans le Donetsk, notamment à l’encontre de son aéroport et du nœud ferroviaire stratégique qu’est Debaltseve.
Aussi, les séparatistes russes font barrage aux observateurs de l’OSCE chargés de surveiller la zone, en ne rendant accessibles que deux postes de surveillance sur onze et brouillent leur vision aérienne, notamment avec la destruction en vol des drones de l’OSCE.
Quant à l’Ukraine, elle a adopté le 16 septembre 2014, sous les pressions occidentales, certaines mesures politiques des Accords de Minsk, à savoir des mesures d’amnistie, un statut spécial pour la langue russe, une coopération avec la Russie et des « unités de police » créées par les Conseils municipaux dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine.
S’agissant du cessez-le-feu, celui-ci fut enfreint constamment tout le long des accords, tant du côté pro-russes que du côté Ukrainien.
Les Accords de Minsk se faisaient une solution pour l’Ukraine afin de stopper l’invasion russe en respectant les exigences russes qui sont la conservation de leur contrôle sur ces zones tout en permettant leur réintégration dans le territoire ukrainien.
En second lieu, en droit international ces accords constituent un simple traité bilatéral, dont l’application ne regarde que les Etats-parties. Ainsi, il n’existe aucune institution de contrôle propre à l’application de ce traité. Dès lors, les résolutions prises par ces accords n’ont jamais été réellement appliquées. D’ailleurs, c’est parce que “Minsk I” a été un échec qu’il a fallu penser un “Minsk II”, pour renforcer les mesures et relancer les efforts de paix. Or, c’est là que réside la plus grande problématique du droit international : il n’y a jamais de réelles sanctions visant à faire respecter de tels accords de par la place centrale des Etats dans ce système.
En effet, les institutions de la communauté internationale, comme celles de l’ONU, n’interviennent que dans les traités impliquant l’ensemble de la communauté ou en cas de violations de règles fondamentales, ce qu’on appelle le “Jus Cogens”. Parmi ces règles, on compte, par exemple, les crimes contre l’humanité, ou bien le crime d’agression. Or, l’Assemblée Générale de l’ONU n’est intervenue que brièvement pour souligner les violations de la Russie face au droit international, dans une Résolution de 2014, et rappeler les obligations des deux Etats, sans donner de sanctions. Les Accords de Minsk sont donc intervenus dans le but d’empêcher ces violations. De nombreux auteurs de doctrines soulignent que les agissements de la Russie constituent un crime d’agression, en plus de violer l’interdiction du recours à la force et la souveraineté de l’Ukraine.
L’agression est définie dans la Résolution 3314 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, datant de 1974. Il s’agit de : “l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort de la présente Définition.” Or, dans la Résolution de 2014 évoquée plus haut, c’est bien la violation de l’intégrité de l’Ukraine qui a été soulignée. Elle est à l’origine du processus de pacification explicité par les Accords de Minsk. Pourtant, aucune sanction n’est donnée à l’encontre de la Russie. Ceci s’explique par sa présence au sein du Conseil de Sécurité, parmi les cinq membres permanents. Elle freine les agissements de la communauté internationale, car elle pourrait poser son droit de veto sur n’importe quelle mesure. Il s’agit d’une illustration parlante de l’impuissance de l’ONU dans ce conflit.
De plus, une des justifications de Vladimir Poutine est intéressante, il évoque la notion de “dénazification” ou bien de “crimes contre l’humanité” perpétrés dans cette région du pays à l’encontre des russophones ukrainiens. Mise à part la question de la validité de ses propos, cette justification est tout sauf délirante. Il est en principe interdit d’intervenir dans les affaires d’un pays, d’où l’impossible recours à la force, afin de respecter la souveraineté des Etats. Dès lors, un mécanisme a été créé permettant la protection des civils en cas de crimes graves : la Responsabilité de protéger (R2P). Elle est débattue au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU avant d’être appliquée ; de ce fait, comme aucun vote n’a été réalisé par ledit conseil, cette intervention est illégale. Alors, l’intervention russe pourrait s’expliquer, selon Vladimir Poutine, par une volonté de protéger les civils d’éventuels crimes contre l’humanité. Encore une fois, la validité de ce propos n’est pas avérée, mais il s’agit d’une tentative de justification de la violation de ces accords par le chef d’Etat. Pourtant, cet argument serait davantage applicable à l’encontre de la Russie. L’Ukraine pourrait même invoquer son droit de légitime défense, qui est une réponse en cas d’agression.
Pour conclure, les accords de Minsk servent de frein juridique et textuel à la discorde entre les deux pays. Ils permettent un rappel des obligations en droit international. Cependant, ce filet de sécurité est bien fragile, de par la nature souple de ces actes qui n’imposent aucune contrainte. L’absence de sanctions témoigne de la finitude de ces accords. Dès lors, la crise ne s’est jamais vraiment calmée. La situation dure depuis 2014 et au-delà, car aucun instrument juridique ne permet de freiner les velléités russes, qui se fondent sur l’histoire commune entre l’Ukraine et la Russie.
Article écrit par Maréva QUEBAUD et Nolwenn LE BORGNE
Sources (partie droit) :
Texte du protocole de Minsk : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/protocole_de_minsk_cle8daab1.pdf
Responsabilité de protéger : https://www.un.org/fr/chronicle/article/la-responsabilite-de-proteger
Sur la non-application des accords : https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2017-1-page-13.htm
Sur les difficultés posées par ce conflit : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-2-page-133.htm
Résumé des accords de Minsk : https://www.jean-jaures.org/publication/tout-ce-quil-faut-savoir-sur-les-accords-de-minsk-en-22-questions/
Sur l’actualité : https://www.lemonde.fr/crise-ukrainienne/
Résolution de l’AGNU : https://www.voltairenet.org/article183029.html (Résolution 68/262 de l’AGNU du 27 mars 2014, Intégrité territoriale de l’Ukraine, A/RES/68/262)
Résolution 3314 : https://www.voltairenet.org/article182522.html
https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-2-page-81.htm
Sources (partie histoire) :
Tout ce qu’il faut savoir sur les Accords de Minsk en 22 questions
https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-4-page-107.htm
https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/est-ouest-les-plaies-de-lukraine
https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-2-page-81.htm
https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2014-4-page-38.htm#no6