Amalgame et méfiance contre ce qui est russe – Effet de la guerre en Ukraine

La guerre est de retour en Europe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie rappelle des moments sombres de l’histoire du monde. Les réactions qu’elle suscite sont à la hauteur de l’ampleur de l’événement : d’une part, des sanctions lourdes et des  condamnations globales contre l’Etat russe et son économie, d’autre part, des soutiens massifs à l’Ukraine. Les proches collaborateurs et collaboratrices des dirigeant.e.s russes dans le monde sont aussi visé.e.s. Et qu’en est-il de la population russe et de tous ses représentant.e.s à l’étranger ? Les émotions populaires qui parcourent le monde et particulièrement l’Occident risquent de se répercuter sur iels et de toucher les ressortissant.e.s russes, ainsi que les symboles de la Russie ou tout ce qui l’évoque.

L’un des effets immédiats de l’invasion de l’Ukraine a été la mise à l’écart des sportif.ve.s russes et biélorusses des compétitions internationales. L’événement le plus marquant est la prise de position du Comité international paralympique. Alors qu’il avait pris une première décision favorable à la participation des athlètes russes et biélorusses, il a fait marche arrière face à la pression des autres participant.e.s (1). Ce type de décision est rare et la solution de faire concourir ces athlètes sous bannière neutre aurait pu être envisagée. Mais ce n’est pas la seule institution sportive qui a puni l’acte militaire russe par des décisions contre ses représentant.e.s. Par exemple, la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) a choisi d’exclure l’équipe russe de la prochaine coupe du monde au Qatar, qui se jouera en fin d’année 2022 (2). Une autre décision était vivement attendue, celle concernant le mondial de volley. Prévu pour cet été, la Russie devait en être le pays hôte. Mais sous la pression des autres équipes nationales, comme la France, la FIVB (Fédération internationale de volley-ball) a décidé de ne pas organiser son mondial en Russie mais de le déplacer dans un autre pays (3).

En Italie, une décision de l’université Bicocca de Milan a agité le monde universitaire. L’écrivain Paolo Nori devait y présenter une conférence sur le célèbre écrivain russe Fiodor Dostoïevski. Mais l’établissement a souhaité annuler l’événement pour « éviter toute forme de polémique dans ce moment de forte tension ». Le conférencier a réagi sur les réseaux sociaux en dénonçant la décision. En réponse, les représentant.e.s de l’université milanaise ont parlé d’un « malentendu » (4).

A Nantes, le restaurant russe Michel Strogoff déplore l’image qu’il doit subir. Sa cuisine porte l’étendard d’un pays rejeté par celleux qui associent la politique des dirigeant.e.s russes au pays tout entier. Une défiance qui se répercute sur le restaurant : annulations de réservations, appel au boycott, menaces (5). Pendant la première semaine du conflit, le nombre de clients a significativement baissé. Depuis, le rythme de fréquentations est de retour à la normale.

Des effets de la guerre existent même en dehors du monde russe. Il suffit que le nom du président russe soit évoqué pour provoquer le rejet. A l’instar d’Hitler, les noms de ces autocrates ou autocaristes sont devenus des termes péjoratifs. Ce sont des gros mots qu’il est préférable de ne pas porter. C’est toute la problématique des restaurants spécialisés dans le plat québécois : la poutine. Après avoir reçu des insultes, le groupe de restauration : « La Maison de la Poutine », a dû publier un communiqué pour se défendre de n’avoir aucun lien avec le président russe (6).

Néanmoins, toutes les réactions occidentales ne mélangent pas les dirigeant.e.s russes à la population. Le groupe Meta (qui détient Facebook et Instagram) a lui aussi annoncé un traitement spécifique vis-à-vis de la Russie. Diffusée par l’agence de presse Reuters (le 11 mars), les modérateur.ice.s de leurs réseaux sociaux ont pour règle de laisser passer les messages de haine envers les dirigeant.e.s russes ou les militaires russes, jusqu’aux appels à la mort du président Poutine (7). Mais cette liberté d’expression élargie à la haine s’arrête aux acteurs politiques et militaires. Il est précisé que les messages ne doivent pas concerner les civils.

Une partie des Occidentaux réduit donc la Russie à Poutine. Mais la Russie ne se réduit-elle pas elle-même à Poutine ? Une partie de la population soutient l’ « opération militaire » en Ukraine. Les manifestant.e.s sont minoritaires et les milliers de citoyen.ne.s russes qui quittent leur pays semblent constituer une exception. Pour ces Russes-là, il est dangereux de rester. Iels quittent leur pays malgré elleux, la politique autoritaire de Poutine les force à partir (8). Mais, il semble que la majorité de la population russe, nourrie par la propagande, ne proteste pas contre l’intervention militaire. Une partie revendique même son soutien, en arborant par exemple le symbole « Z ». Le journaliste indépendant Kamil GALEEV a écrit un long thread sur Twitter concernant ce sujet. Il montre à quel point cette lettre est devenue un symbole militaire repris par des civils pour soutenir l’armée. Un tweet résume la situation : « I’d say about 2/3 of population support Z-campaign. Loyalists are far more numerous and outspoken than dissidents. », en français : « Je dirais que les deux tiers de la population russe soutiennent le mouvement Z. Les loyalistes sont bien plus nombreux et bien plus francs que les dissidents ». De même, un reportage de France 2 auprès de citoyen.ne.s moscovites est assez clair. Un couple russe commente : « Il y a des raisons majeures. […] C’était le moment pour le faire. » (9).

En bref, l’un des effets de la guerre en Ukraine est une méfiance, voire un rejet de ce qui touche à la Russie. Pourtant, il est clair que ce conflit est « la guerre de Poutine ». Mêler la population russe et ses ressortissant.e.s aux actions militaires de leurs dirigeant.e.s est un amalgame dangereux. Bien qu’une part de la population russe soutienne son président, mettre en opposition les peuples a des relents de guerre mondiale.

Article écrit par Lilian GODARD

Notes :
1 : Le communiqué officiel du Comité international paralympique  
2 : Le communiqué officiel de la FIFA et de l’UEFA 
3 : Le communiqué officiel du FIVB 
4 : La réaction de Paolo Nori sur Instagram  ; Un article du magazine littéraire ActuLitté sur le sujet 
5 : Reportage de TéléNantes sur le restaurant russe 
6 : Le communiqué de Maison De La Poutine sur Facebook
7 : L’article de Reuters sur le sujet 
8 : Ces situations sont développées par une émission de France Culture
9 : Le tweet de Kamil GALEEV ; Le reportage de France 2 

Laisser un commentaire