La guerre, au-delà de ses conséquences géopolitiques et économiques, engendre des manifestations psychiques particulières. Elle impacte le cerveau des individus qui vivent un conflit militaire. L’organe le plus complexe du corps humain se voit réagir à des flux d’informations – vraies ou fausses – importants et à une détresse sans précédent. Comprenons ainsi comment les neurosciences ont mis en lumière le fonctionnement cérébral des civils en temps de guerre.
Pour Carl von Clausewitz, officier et théoricien prussien (1830, cité par Pappalardo, 2021), la guerre est “un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à notre volonté”. Face à une situation inédite, notre cerveau est “bousculé” par un changement radical de l’environnement avec lequel il interagit : il réagit à de nouveaux stimuli, éléments de quelconque nature (auditive, visuelle, etc.) qui déclenchent une réponse physiologique. Il doit alors faire face à de nouvelles sensations physiques et émotionnelles qui surgissent en réaction à ces stimulations extérieures.
L’activité cérébrale étant perturbée par un choc moral, un sujet s’adapte inconsciemment au monde qui l’entoure. Face à une peur ressentie, les amygdales ont un rôle de régulation de nos actions face à la peur : elles fonctionnent tel un système d’alerte pour nous permettre la survie (Stoop, 2018). Ces structures cérébrales en forme d’amande décodent les stimuli (éléments sensoriels qui provoquent une réaction comportementale) de l’environnement pour orienter et dicter des réactions comportementales de fuite ou de protection. Puis, elles envoient un signal de peur au reste du corps qui réceptionne le message suivant : activer des mécanismes corporels de défense. Cette activation réflexe entraîne par exemple une accélération du rythme cardiaque, une sudation intense ou des contractions musculaires (Stoop, 2020). Les amygdales sont ainsi à l’origine de ces réactions physiologiques afin de prévenir un individu d’un danger imminent et de le faire passer à l’action pour se protéger.
En situation de guerre, un individu est “dépassé” par les événements et les enjeux associés (Philippe, 2022). Il est donc amené à mettre en place des mécanismes cognitifs inconscients pour se protéger.
Une situation de terreur nous impacte tous durablement : d’après Maxime Morsa, chercheur en santé publique (2014), la peur de la mort conditionne notre existence. Chacun de nous présente tout de même ses propres réactions face à la peur. À ce jour, aucune hypothèse scientifiquement prouvée ne montre les réactions de peur en réponse à une guerre en cours, mais davantage concernant une guerre vécue des années plus tôt.
Après avoir subi une période de guerre, un individu de tout âge vit généralement un stress post-traumatique durant plusieurs années et développe des troubles psychiques dans certains cas tels que l’anxiété et la dépression (Santé publique France, 2019). L’inconscient du sujet est perturbé jusqu’à être envahi de flashbacks qui surviennent lors de cauchemars (images, sons, sensations, etc.). L’un des mécanismes de protection face à ces nuits mouvementées est le réveil pendant un mauvais rêve (Freud, 1910). D’après une étude réalisée par une équipe de chercheurs finlandais (Gilman & al., 2017), les enfants qui ont vécu la guerre et qui ont notamment été séparés de leurs parents développent des troubles psychologiques qui persistent à l’âge adulte comme des troubles de l’humeur. En effet, selon Patrick Clervoy (2017), psychiatre français, “la structure mentale d’une personne se construit à partir de ce que lui apportent son éducation et son expérience”. Par ce biais, des schémas sont ancrés dès le plus jeune âge et persistent à l’âge adulte si aucune thérapie n’est engagée pour lever certains blocages et croyances. Avec des schémas de peur, d’angoisse et d’appréhension du présent et de l’avenir liés à un traumatisme de guerre, les futurs parents transmettent ces mêmes facteurs à leurs enfants, de façon inconsciente. Ainsi, comme l’affirment les chercheurs finlandais, les descendants des enfants témoins de la guerre sont susceptibles de développer des troubles psychologiques similaires à ceux de leurs parents voire davantage amplifiés (Gilman & al., 2017)
Article écrit par Mathilde Gévaudan
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