Embargo sur le gaz et le pétrole russe: Doit-on vraiment y croire ?

Les 10 et 11 mars dernier, se tenait à Versailles un sommet des 27 États membres de l’Union européenne dans le but de décider des nouvelles sanctions contre la Russie. Depuis le début des hostilités en Ukraine, plusieurs paquets de sanctions ont déjà été adoptées. Parmi les sanctions économiques et financières on trouve notamment l’exclusion de 7 banques russes du système bancaire Swift. Lors de la conférence de presse suivant le sommet, la possibilité que le gaz et le pétrole russe puissent faire l’objet d’un embargo n’est pas à exclure. Pour le moment, les dirigeants européens s’accordent pour une sortie progressive de la dépendance au gaz et au pétrole russe à l’horizon 2027. Mais peut-on porter crédit à cette éventualité? 

Depuis 2005, l’Union européenne a passé son pic de production de gaz naturel. En d’autres termes, la production est passée par un maximum et depuis elle décroît. Elle a même chuté de plus de 30%. Corrélé à l’augmentation des besoins, ce pic induit une plus grande dépendance vis-à-vis des importations. Dans la dynamique actuelle selon l’AIE (Agence internationale de l’énergie), l’Union européenne devrait importer 80% de ses besoins en gaz d’ici 2030. Aujourd’hui le gaz russe arrive en tête des importations de l’Union européenne avec 43,6%. À la recherche d’alternatives au gaz russe l’UE pourrait se tourner vers la Norvège, second fournisseur avec 22,5% de la part du gaz importé, mais selon son premier ministre, Jonas Gahr Støre, “La Norvège livre au maximum de ses capacités. Le gouvernement est en contact avec les entreprises chargées de la production et des exportations via les gazoducs, et elles livrent du gaz au maximum de leurs capacités aujourd’hui ». Une alternative peut se trouver dans le recours au gaz naturel liquéfié venant principalement des États-Unis, du Qatar et de l’Australie. Cependant, les capacités de regazéification de l’UE sont limitées aujourd’hui à 19 milliards de m3 par mois et il en manquerait trois pour pallier le manque de gaz russe. De plus, les terminaux de traitement du GNL sont inégalement répartis sur le territoire européen ce qui, de facto, n’ôterait pas la dépendance de tous les États de l’UE au gaz russe. Si la France, l’Italie, la Belgique et l’Espagne, pour ne citer qu’eux, possèdent de telles infrastructures, l’Allemagne n’en a aucune. Pour ce dernier pays, deux terminaux sont en construction et le premier, à Stade, ne devrait être fini qu’en 2026. Pour ce qui est du pétrole, l’UE importe 20% de la Russie. Ramené à la production mondiale, la part d’import de pétrole russe par l’UE est de 3,4%. Reste à savoir si les autres pays producteurs seront en mesure d’épancher ce manque. 

Si l’on garde 2027 comme l’année de la fin de l’importation de gaz et pétrole russe en Union européenne, quels seraient les effets pour la Russie? Gazprom est la première entreprise gazière de Russie mais aussi première productrice au monde. Son activité représente 12% des biens et des services exportés par la Russie. 81% de la totalité du gaz exporté est à destination de l’UE. Pour la vente de gaz, elle contribue, en 2015, à 5% des recettes de l’État. Cependant, c’est l’exportation de pétrole et produit pétrolier qui confère au gouvernement russe un plus important revenu. En 2015, elle participait à 36% des recettes de l’État pour une part exportée vers l’UE de 53,3%. Il apparaît clairement que de se priver du marché européen pour l’exportation de gaz et d’hydrocarbures amputerait considérablement le budget de l’État russe. Cependant on note ces dernières années un tropisme vers l’orient au niveau de l’export, notamment gazier. Le 21 mai 2014, est signé un accord entre la Chine et la Russie conduisant à la construction d’un gazoduc qui est achevé en juillet 2019. Il a une capacité de 61 milliard de m3 par an mais face au 170 milliard de m3 exporté en Europe, le remplacement du marché européen par le marché chinois n’est pas effectif. Néanmoins, la consommation chinoise de gaz naturel est en constante augmentation, multipliée par trois durant la décennie 2010. Un accord à déjà été signé pour un contrat pour la livraison de 10 milliard de m3 par an le 4 février dernier.  Il n’est pas impossible qu’au vu des postures prises par les dirigeants européens, de nouveaux accords entre la Chine et la Russie voient le jour. 

La question de l’embargo, que ce soit du côté russe ou de l’Union européenne, reste largement ouverte. Au vu des déclarations d’Ursula van der Leyen et d’Emmanuel Macron, il reste cinq ans à la Russie pour trouver de nouveaux débouchés. Quoiqu’il en soit, la position prise par les dirigeants européen début mars, impose de trouver d’autres alternatives pour pallier la dépendance énergétique de l’UE. Lors de la conférence, le recours aux énergies renouvelables a été évoqué mais l’investissement nécessaire et le temps de déploiement sont considérables. On peut se demander si un tel dispositif sera mis en place d’ici 2027. D’autant que les niveaux de dépendance entre les différents états européens sont très importants. La France dépend, pour ses importations de gaz, à moins de 20% de la Russie alors que l’Allemagne est à plus de 50%. La différence est d’autant plus nette parmi les pays de l’ex-URSS montant au-dessus des 75%. Ces différences appellent dans l’Union a une solidarité entre les États dans le processus de mutation des moyens de production d’énergie. 2027 semble un peu proche mais cette conversion coche certainement d’autres cases.

Bibliographie:
L’énergie dans les relations Europe-Russie, Moteur de coopération ou arme de guerre, Claude Nigoul, L’Europe en formation, 2014, p.94-115
Un fournisseur d’énergie vital pour l’Europe Gazprom, le Kremlin et le marché, Catherine Locatelli, Le monde diplomatique, mai 2015
Ukraine : les pays européens continuent d’importer massivement du gaz russe, La Tribune, 15 mars 2022
La (co)dépendance énergétique de l’Europe et de la Russie en chiffres, Louis Mollier-Sabet, 9 mars 2022, Publicsénat.fr
Gaz : un accord à 400 milliards de dollars entre la Chine et la Russie, Le Monde avec AFP, 21 mai 2014

Sitographie:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Énergie_en_Europe#Pétrole_3
https://fr.wikipedia.org/wiki/Énergie_en_Chine#Consommation_de_gaz
https://fr.wikipedia.org/wiki/Énergie_en_Russie#Exportations_de_gaz_naturel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_de_Sibérie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_terminaux_méthaniers

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