Vivre dans l’Oeil du Cyclone tawaïnais : une exposition immersive au Lieu Unique

Pour parcourir Taïwan à Nantes, il suffit de se rendre au Lieu Unique. Jusqu’au 8 janvier 2023, 7 artistes contemporains taïwanais nous ouvrent les portes d’une île. Cette dernière semble être préservée au cœur d’un œil, celui du cyclone. Taïwan, dont la place dans l’actualité était déjà souvent corrélée aux volontés de domination de la Chine continentale, se trouve plus que jamais proche de la tempête.

L’invasion de l’Ukraine a fait l’effet d’un écho chez les taiwanais, soucieux de préserver leur indépendance face au géant chinois. Yuan Goang-Ming, artiste des œuvres Everyday Maneuver (2018) et Dwelling (2014), nous montre l’importance de la préparation à d’éventuelles attaques du territoire en nous immergeant dans la ville, vide, mais dont les alarmes d’urgence remplissent l’espace auditif. Les tableaux colorés d’Huang Hai-Hsin témoignent de la normalisation des exercices en cas d’attaque, devenant des moments «joyeux » car vidés de l’idée de danger de mort, pourtant bien réelle.

Huang Hai Hsin, Week-end Practice #5 (2012), huile sur toile, 63,5×76 cm

Ce message d’angoisse généralisée est donc assez explicite et nous invite à nous questionner sur la fragilité d’une nation isolée et encerclée.

 Mais l’isolement ne signifie pas ici absence d’échanges. Taïwan possède une histoire complexe. De 1183 à 1895, l’île était sous domination chinoise. Après la guerre sino-japonaise (1894-1895), les Japonais, victorieux, prennent le contrôle du territoire jusqu’en 1945. En 1949, suite à la guerre civile chinoise, Taïwan devient une terre de refuge pour les opposants politiques de Mao Zedong, dont Tchang Kaï-Chek, qui gouverne d’une main de fer jusqu’en 1975. À partir des années 1980 jusqu’à nos jours, Taïwan n’a cessé d’expérimenter un régime, celui offrant désormais un « cadre démocratique plein et entier » pour la liberté, selon les mots de M. Commins, directeur du Lieu Unique.

Cette image de pleine et entière liberté se retrouve dans l’œuvre de Yao Jui-Ching. Il revisite la peinture chinoise traditionnelle, en proposant de nouvelles techniques et de nouvelles représentations par la satire. L’œuvre monumentale de 12 mètres de long est considérée comme une révolution de la peinture traditionnelle.

Yao Jui-Ching, Brain Dead Travlogue (2015), papier indien fait main, encore noir et feuilles d’or, 1232×193 cm

L’exposition est également un prétexte pour aborder d’autres sujets d’une variété végétale. Chaque œuvre est comme une partie d’un arbre vue de ses racines jusqu’à sa cime. Chang Li-Ren nous invite à visiter d’un œil curieux une maquette, géante il faut le dire, Battle City-Scene (2010-2017) reconstituant un quartier d’une ville taïwanaise des années 1980-1990. Yu-Chen Wang nous plonge dans son soi par une œuvre immersive et interactive.

Les 23 pupitres de Wang Lien-Chieng surgissant du noir, munis de bras métalliques, tournent les pages d’un cahier de textes de Confucius, récités par des élèves taiwanais. Cette œuvre manifeste l’héritage de la domination chinoise mais également l’impact de l’industrialisation, par une mécanique qui s’insère dans l’éducation à l’école, jusque dans le bras et l’esprit des enfants.

Wang Lien-Cheng, Reading Plan (2016), installation, livres, pupitres (bois et métal), moteurs, puces électroniques, LED

Les notions de l’industrialisation, et plus largement de modernité, sont montrées comme concepts muables. Le centre commercial à Kaohsiung, symbole du futur, construit dans les années 1970, apparaît vieux et dépassé dans le film Future Shock (2019) réalisé par Su Hui-Yu, diffusé sur trois écrans. La notion de futur est alors renvoyée à une histoire que se racontent les hommes de ces années-là, une histoire vouée à demeurer dans le passé. De ce point de vue, on pourrait faire un parallèle avec le lieu d’exposition.

Su Hui-Yu, Future Shock (2019), vidéo (triptyque), 19”30

Le Lieu Unique, dont l’acronyme LU n’est pas un hasard, abritait anciennement l’usine de biscuits LU. Aujourd’hui, les murs préservent les traces d’un temps ancien dont la modernité n’est plus le terme attribué. Pourtant, son occupation, par ces expositions, des spectacles, un bar, un restaurant, un salon de lecture ou encore un hammam, lui permet d’accéder à une modernité nouvelle car elle correspond aux attentes et volontés politiques du moment.

Informations pratiques :

Le Lieu Unique – quai Ferdinand-Favre, 44000 Nantes

Horaires de l’exposition : mar-sam : 14h-19h, dim : 15h-19h (fermé le lundi)

Site internet : lelieuunique.com

Instagram : @lelieuunique

Jeanne Quenault

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