Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) (1)

Si Vol de Nuit (1931) est parfois cité, la carrière de Saint-Exupéry, dans la mémoire collective, se résume à son œuvre finale et le seul conte de sa carrière : Le Petit Prince (1943). Un conte d’une grande popularité. Si populaire qu’il est le deuxième livre le plus traduit au monde derrière la Bible. Si populaire que les estampes du petit garçon à l’écharpe rouge se trouvent dans la mémoire de tout un chacun. Ainsi, Le Petit Prince rayonne dans la carrière de Saint-Exupéry et éclipse ses huit autres romans. 

Plutôt qu’aborder le célèbre conte pour une énième fois, nous allons ici évoquer le tout premier roman de son auteur, un petit inconnu de 153 pages du nom de Courrier Sud

Breguet XIV, appareil vétuste et peu fiable sur lequel a volé Saint-Exupéry au sein des lignes Latécoère (2)

Paru en 1929, Courrier Sud nous raconte l’histoire de Jacques Bernis, pilote de la poste aérienne chez Latécoère pendant l’entre-deux-guerres. De ses vols dangereux au-dessus du Sahara, jusqu’à l’aventure amoureuse avec Geneviève en Provence, le roman nous fait découvrir bien des lieux.  Ici, pas de narration linéaire. Le livre ne nous narre que des passages de la vie de Bernis. Le tout est décousu et, plusieurs fois, on se prend à se questionner sur la logique de la narration. Le style est simple mais figurent déjà quelques envolées poétiques qui feront plus tard la pâte de l’auteur. La vie de Bernis se dévoile pudiquement au fil des pages. Les scènes de sa vie sont parfois même écrites sans aucun contexte, se suffisant à elles-mêmes. On passe de scènes de vol à des intrigues amoureuses, de discussions banales entre pilotes à de longues introspections presque philosophiques. Plus qu’une histoire, Saint-Ex’ veut nous faire passer des fragments d’une vie. Des moments d’une grande simplicité, mais toujours décrits avec justesse, sans excès :

“Rien ici n’est truqué… Le vestibule était obscur : un chapeau blanc sur une chaise : le sien ? Quel désordre aimable : non un désordre d’abandon, mais le désordre intelligent qui marque une présence. Il garde encore l’empreinte du mouvement. Une chaise à peine reculée d’où l’on s’était levé la main appuyée à la table : il vit le geste. Un livre ouvert : qui vient de le quitter ? Pourquoi ? La dernière phrase chantait peut-être encore dans une conscience.”

Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud, 1929, page 163

Courrier Sud, de la même manière que Voyage au bout de la nuit (1932) de Louis Ferdinand Destouches, aussi appelé Céline, est un roman semi-autobiographique. Si Jacques Bernis n’a jamais existé, Saint-Ex’, lui, a bien piloté des courriers de 1926 à 1932 chez Latécoère puis à l’Aéropostale. Pendant l’entre-deux-guerres, Saint-Exupéry et ses amis pilotes (Jean Mermoz, Henri Guillaumet) ont transporté le courrier au-dessus du Sahara et de la Cordillère des Andes. Des contrées dangereuses, difficiles à survoler à cause des vents puissants, des reliefs imprévisibles et de la vétusté de leurs appareils. Entre 1919 et 1931, plus de 130 pilotes de l’Aéropostale perdent la vie en vol. Dans l’ouvrage, Jacques Bernis regrette souvent avec mélancolie la disparition de ses collègues. Tout comme Saint-Ex’ qui dira plus tard dans une lettre à sa femme Consuelo : “Je n’ai plus personne à qui dire “te souviens-tu ?”. La mort habite l’histoire, tantôt tragique, tantôt libératrice. La vie semble bien légère de même que la mort n’intervient jamais avec lourdeur. Un certain nihilisme absolument unique chez l’auteur :

“J’ai aimé une vie que je n’ai pas très bien comprise, une vie pas tout à fait fidèle. Je ne sais même pas très bien ce dont j’ai eu besoin : c’était une fringale légère…”

“Les voix reprirent. C’étaient des voix pleines d’amours mais si calmes. On savait la mort installée sous le toit, on l’y accueillait en intime sans en détourner le visage. Il n’y avait rien de déclamatoire : “Comme tout est simple, pensa Bernis, vivre, ranger les bibelots, mourir…”

Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud, 1929, page 60

L’avion de Guillaumet après un crash dans la Cordillère des Andes le 13 Juin 1930. Ce genre d’accident était fréquent pour les pilotes de l’aéropostale (3)

Courrier Sud semble aussi poser les premières bases qui donneront plus tard le chef d’œuvre Vol de Nuit (1931). En revanche, ce dernier exposera une vision proche du surhomme à ses protagonistes, tous courageux, conscients du danger mais résolus à accomplir leurs missions coûte que coûte.

Maintenant, faut-il lire Courrier Sud ? La réponse serait : pas en priorité. Vol de Nuit ou Terre des Hommes (1934) sont plus simples, lisibles et facile d’accès pour les novices de la plume de Saint-Exupéry. Par ailleurs, Courrier Sud reste rarement cité, tant le style de l’auteur paraît inabouti, brut. Toutefois, si vous n’avez pas peur de la mélancolie, que l’automne vous donne l’âme romantique et que vous êtes curieux d’aventure aérienne, foncez. Si elle n’est pas prioritaire, elle reste une belle lecture. 

Monument commémoratif aux morts de l’aéropostale à Tarfaya, Maroc (4)

Sources :

https://www.argentina-excepcion.com/guide-voyage/aeropostale/pionniers-aeropostale#:~:text=Avec%20sa%20m%C3%A9thode%2C%20l’A%C3%A9ropostale,hommes%20ont%20perdu%20la%20vie.

Bibliographie :

Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud (1929)

Antoine de Saint-Exupéry, Vol de Nuit (1931)

Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes (1943)

David Marchand, Guillaume Prévot, L’Aéropostale (2020)

Crédits images :

  1. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3b/Saint-Exupery_Tunis_1935.jpg/640px-Saint-Exupery_Tunis_1935.jpg
  2. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d8/Expo_aeropostale_Toulouse_2011_%284%29.jpg/640px-Expo_aeropostale_Toulouse_2011_%284%29.jpg
  3. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bb/Guillaumet%2C_L%27A%C3%A9ronautique%2C_Janv_1931_-_Copie.jpg/640px-Guillaumet%2C_L%27A%C3%A9ronautique%2C_Janv_1931_-_Copie.jpg
  4. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bb/Monument_A%C3%A9ropostale.jpg/1024px-Monument_A%C3%A9ropostale.jpg

Laisser un commentaire