Des liens de parenté identifiés pour la première fois chez des Néandertaliens

Une étude génétique, parue dans la revue Nature le 19 octobre 2022, esquisse pour la première fois les contours d’une certaine « organisation sociale » chez les Néandertaliens. Ces hommes préhistoriques ont vécu en Europe, au Moyen-Orient et en Asie Centrale jusqu’à environ 3000 ans avant J.-C. À ce jour, les plus anciens spécimens connus sont datés d’environ 400 000 ans av. J.-C.

L’article scientifique, rédigé par trente-cinq auteurs, dont le lauréat du prix Nobel de médecine 2022, Svante Pääbo, s’est basé sur l’étude de restes dentaires et osseux retrouvés dans deux grottes de la région de l’Altaï, au sud de la Sibérie, Tchagyrka et Okladnikov. Selon certains artefacts découverts, les chercheurs ont avancé l’hypothèse que ces dernières auraient été utilisées comme camps de chasse à court terme.

De plus, les vestiges ont été récupérés sur une seule couche de dépôt. Ils appartiennent donc probablement à une même période d’occupation. La datation radiocarbone d’os de bison mis au jour, couplée à celles de deux charbons de bois et d’un os de Néandertalien (celui de Chagyrskaya 9) indiquerait une occupation entre 59 000 et 51 000 ans av. J.-C. Cependant, seul l’ADN permettait de l’attester.

Le contexte climatique se prête très bien à des recherches d’ADN ancien – le froid conservant très bien cet indice du passé. Ce n’est en effet pas la première fois que de telles recherches sont effectuées : c’est en Sibérie qu’a été retrouvé le génome qui a permis l’identification de l’homme de Denisova, situé dans une grotte proche de 50 et 130 kilomètres de celles qui nous intéressent ici.

Cependant, le séquençage génétique réalisé par les scientifiques, sur de la poudre osseuse ou dentaire, a eu lieu à l’échelle de tout un groupe d’individus, ce qui le place au rang du plus vaste effectué sur des hominidés.

La première préoccupation des archéologues était « d’identifier combien on avait d’individus », comme le dit d’ailleurs le paléogénéticien Stéphane Peyrégne, un des auteurs de l’étude, dans une entrevue. De nouvelles techniques ont été utilisées, permettant d’isoler l’ADN humain ancien, souvent noyé dans des contaminations microbiennes, et de le capturer. Des analyses sont ressortis deux nombres : environ 17 spécimens auraient été présents dans la grotte de Chagyrskaya et 10 dans la deuxième. Néanmoins, tous ne sont pas échantillonnables, à cause de leur mauvais état de conservation ou d’une absence de données.

Ainsi, 15 des 17 spécimens de la grotte de Chagyrskaya ont été échantillonnés, et 2 sur 10 individus de la grotte d’Okladnikov ont livré des données.

Toujours grâce à l’étude de l’ADN, les chercheurs ont avancé qu’au moins onze individus de la grotte de Chagyrskaya faisaient partie de la même communauté. En effet, un homme adulte, Chagyrskaya D, était étroitement lié à d’autres personnes du groupe. Une relation au premier degré a ainsi été établie entre lui et Chagyrskaya H, une adolescente. Selon l’analyse de leur génome, a été avancée l’hypothèse que cette dernière serait la fille du premier.  De plus, Chagyrskaya A, un homme, et Chagyrskaya L, une femme, seraient des parents au second degré.


Les archéologues ont écarté l’hypothèse que les individus de la grotte de Chagyrskaya et ceux de la grotte d’Okladnikov auraient formé une seule et même communauté, en se basant sur une divergence génétique plus faible chez les premiers que les seconds.

Une quantité similaire d’homozygotie a été identifiée dans les génomes des individus Chagyrskaya et ceux d’une espèce de gorilles de montagnes actuellement en voie de disparition, qui vit en communauté de 4 à 20 individus. Ce lien a été établi par les chercheurs, qui ont alors avancé que les Néandertaliens de l’Altaï vivaient en petites communautés, sur le modèle de l’espèce de gorilles de montagnes mentionnée.

Enfin, l’article évoque un fonctionnement « patrilocal » de ces Néandertaliens, où les femmes auraient tendance à changer plus souvent que les hommes de groupe, peut-être pour suivre leur compagnon.  C’est en tout cas ce que semble suggérer une variété plus importante du génome mitochondrial, transmis uniquement par la mère, parmi les 14 Néandertaliens Chagyrskaya, qui s’oppose à une très faible diversité génétique des chromosomes Y, transmis par l’homme. Néanmoins, cette hypothèse reste controversée.

La nécessité d’échantillonner plusieurs autres individus néandertaliens dans diverses parties de l’Eurasie semble primordiale. Cela permettrait de mieux comprendre leur organisation sociale, mais surtout de comprendre les communautés néandertaliennes dans leur globalité. Une question reste cependant en suspens : les résultats présentés sont-ils témoins des communautés néandertaliennes en général, ou sont-ils uniquement des caractéristiques des communautés de l’Altaï car conditionnées par leur situation géographique isolée – à l’extrémité orientale de l’aire de répartition connue de nos plus proches parents.

Bibliographie

Article originel :

SKOV (L.), PEYREGNE (S.) et al., « genetic insights into the social organization of Neanderthals », Nature, n°610, pp. 519–525, 2022. Disponible à l’adresse : https://www.nature.com/articles/s41586-022-05283-y

Une traduction : Histoireetsociété, « la première famille connue de Néandertalines découverts dans une grotte de Russie »,  Histoire et société, 2 novembre 2022. Disponible à l’adresse : https://histoireetsociete.com/2022/11/03/la-premiere-famille-connue-de-neandertaliens-decouverte-dans-une-grotte-de-russie/

BERIO (F.), « Néandertal passait-il toute sa vie en famille ? » Futura-Sciences, 2022. Disponible à l’adresse : https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/neandertaliens-neandertal-passait-il-toute-vie-famille-88184/

France 24, une « photo de famille » de Néandertaliens dévoilée par la génétique, 20/10/22. Disponible à l’adresse : https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221020-une-photo-de-famille-de-n%C3%A9andertaliens-d%C3%A9voil%C3%A9e-par-la-g%C3%A9n%C3%A9tique

GEO, « une « photo de famille » de Néandertaliens dévoilée grâce à la génétique, GEO, 2 novembre 2022. Disponible à l’adresse : https://www.geo.fr/histoire/une-photo-de-famille-de-neandertaliens-devoilee-grace-a-la-genetique-212407 France 24.

Laisser un commentaire