La question des minimas sociaux, parent pauvre du débat public

Les minima sociaux en France : quelles réalités, quelles évolutions ?

Les minima sociaux désignent les revenus d’existence versés aux personnes en situation de précarité. Contrairement à l’allocation chômage ou aux retraites, ces revenus sont non contributifs, c’est-à-dire versés sans contrepartie de cotisations. Cet article s’intéresse aux réalités qu’ils recouvrent, et à leur traitement médiatique et politique. 

  Le gouvernement a récemment annoncé l’octroi d’une « indemnité inflation » de 100€, pour pallier la hausse des prix du carburant, du gaz et de l’électricité. La motion a été rejetée par le Sénat. Elle devait concerner toute personne touchant moins de 2000€ par mois. Or, parmi cette frange des « plus modestes », on évoque parfois la part conséquente qui vit sous le seuil de pauvreté (18 % de la population en 2021)1, mais on entend moins souvent parler de ses conditions concrètes d’existence. Il est ainsi à noter que les discours politiques soulèvent rarement, et d’autant plus rarement en tant que sujet de premier plan, la question des minima sociaux. Pourtant, cela concernait, fin 2019, 6,3% de la population française, soit 4,30 millions de personnes allocataires de l’un des minima sociaux. Ce chiffre s’accroît, d’autant plus avec la crise sanitaire – sur l’année 2020, le nombre de foyers bénéficiant du RSA a augmenté de 7,4%. En incluant les conjoint(e)s et les personnes à charge, 6,9 millions de personnes étaient couvertes par les minima sociaux, soit 10% de la population.2

  La faible médiatisation de ce problème tient en partie à la position sociale des concerné(e)s. Les plus précaires, en effet, ne constituent pas un électorat prisé,3 ni un objet médiatique central, dans la mesure où l’imaginaire public tend vers la disparition des classes populaires au profit de la « classe moyenne ».4 Ces bénéficiaires sont, en majorité, des familles monoparentales, des personnes handicapées et/ou sans emplois, etc.5 Ce type de profil implique en lui-même, en plus du très faible montant de ces allocations, des situations de grande précarité.6 À cela s’ajoute que le calcul des allocations est réalisé au niveau familial, non au niveau individuel, ce qui suppose deux choses : d’abord, ce mode de calcul minore le montant final.7 Ensuite, les bénéficiaires se retrouvent dépendants, typiquement de leur conjoint(e) (dans des situations d’abus et de violence, par exemple, cette dépendance financière est préoccupante). C’est sur ce point que portait récemment la pétition pour la déconjugalisation de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), rare médiatisation de la question des minima. Cette pétition a forcé l’examen du texte au parlement, mais il a été rejeté. Une telle problématique est d’autant plus prégnante quand on sait qu’il s’agit, le plus souvent, de conditions à long terme. Dans le cas du RSA, par exemple, seuls 10% des bénéficiaires sortent des minima d’une année sur l’autre et, de manière générale, seuls 12% en sortent pendant cinq ans ou plus.8

A vrai dire, si on a pu entendre parler des minima, c’est surtout dans le cadre d’une réforme en cours. En effet, une consultation citoyenne a été ouverte à ce sujet en 2019. Malgré une participation réelle, on ne peut pas dire que cette consultation ait pour autant passionné l’opinion. De quoi s’agit-il ? Les minima sont divers et nombreux9 et cette profusion est invoquée par les partisans d’une « simplification » pour motiver cette réforme, qui prévoit une unification par la création d’un seul Revenu Universel d’Activité. Le principal problème avec ce RUA tient dans ce mot, « activité ». Pour des raisons de « réinsertion » – le projet est chapeauté par le Service Public de l’Insertion et de l’Emploi – il est prévu de conditionner l’allocation, du moins son montant, à une contrepartie en temps de travail. Le préambule de l’Avis sur la création du RUA note d’ailleurs : « la CNCDH [Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme] rappelle que, contrairement à ce que sous-tend en l’état la réforme, l’accès aux prestations sociales ne doit pas être conditionné à la réalisation de « devoirs ». »10 ; ce qui n’a pas empêché l’adoption du projet en séance plénière. 

Le RUA, « expérimenté » à la Réunion sous le nom RSA+, ne revient pas sur le calcul familiarisé des minima, au contraire. On peut s’attendre à ce que l’unification se traduise par la diminution finale du montant des allocations en interdisant les cumuls. Enfin, il n’est toujours pas prévu d’inclure les 18-25 ans, ni les étrangers vivant en France. Cette réforme semble donc s’annoncer comme une aggravation de la situation des plus pauvres, si ses fondements demeurent les mêmes.Les Français(es) estiment en moyenne que le revenu mensuel minimum pour vivre correctement est de 1760€ (1370€ selon les bénéficiaires des minima).11 Il faut alors noter que ces minima augmentent le niveau de vie des personnes pauvres de 342€ seulement en moyenne. Des personnes qui ont par ailleurs peu de revenus, sinon aucun. La situation actuelle et ses évolutions futures pouvaient donc laisser attendre des mobilisations sociales importantes, à l’image des manifestations contre la réforme des retraites, mais on observe peu d’initiatives militantes qui mettent en avant la question des minima. On avancera notamment, à titre d’explication, que leurs bénéficiaires ne peuvent pas compter sur d’importantes organisations syndicales, comme c’est le cas pour les « actifs » (salariés). D’ailleurs, il semblerait que certain(e)s parmi les « précaires » ne désirent pas voir leur situation récupérée par des discours majoritaires et préfèrent développer leur propre parole.12 De toute manière, cette absence relative des minima dans les discours – politiques, militants, médiatiques – n’est certainement pas le problème en tant que tel, mais la manifestation du véritable scandale : le dénuement matériel de celles et ceux qui n’ont pour vivre que la réticence de l’État.

Pour aller plus loin, deux synthèses :

  • Le système français de protection sociale (IV, V), J.-C. Barbier, M .Zemmour, B. Théret, La Découverte, 2021
  • « La protection sociale des chômeurs et des précaires après la crise sanitaire », A. Eydoux, in L’Économie politique n°92, 2021
  1. La pauvreté démultipliée, rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, sous la direction N. Duvoux et M. Lelièvre, 2021
  2. Minima sociaux et prestations sociales – Ménages aux revenus modestes et redistribution, panorama de la Direction de la Recherche, de l’Évaluation et des Statistiques, sous la direction de P.-Y. Cabannes et L. Richet-Mastain, 2021, p.10
  3. Le taux d’abstention est assez élevé parmi les plus précaires, chez qui l’activité politique tend à se détourner des institutions officielles pour favoriser notamment l’engagement associatif. Voir par exemple : « Des classes populaires et des associations : quelles redéfinitions des rapports au politique ? », C. Hamidi, A. Trenta,  in Sociétés contemporaines n° 118, 2020
  4. La France d’en bas ? Idées reçues sur les classes populaires, sous la direction d’O. Masclet, Le Cavalier Bleu, 2019, p. 15-18. 
  5. Minima sociaux et prestations sociales, op. cit., fiche 01
  6. Sur la situation des familles monoparentales, par exemple, voir le dossier : « Vivre la monoparentalité en situation de précarité », in Revue des politiques sociales et familiales n°127 
  7. Les revenus du foyer sont pris en compte dans le Quotient Familial, qui conditionne le calcul de l’allocation finale. Or, si le/la conjoint(e) touche un revenu, même modeste, le montant de l’allocation est proportionnellement réduit. D’où des problèmes de logement presque insolubles, car les revenus doivent généralement être équivalent à trois fois le montant du loyer depuis la loi Boutin. D’où également la mention d’une « dépendance », puisque les délais d’actualisation sont longs et découragent à quitter un foyer violent, par exemple.
  8. Minima sociaux et prestations sociales, op. cit., fiche 19
  9. Le Revenu de Solidarité Active (RSA), l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) et l’Allocation Supplémentaire Vieillesse (ASV) comptent le plus de bénéficiaires, mais il en existe d’autres, comme l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) ou l’Allocation pour Demandeur d’Asile (ADA).
  10. Avis sur la création du revenu universel d’activité (RUA), Journal officiel (legifrance.gouv.fr), juin 2020
  11. Minima sociaux et prestations sociales, op. cit., fiche 05 (la question posée était : « Selon-vous, pour vivre, quel est le montant dont doit disposer au minimum un individu par mois ? »)
  12. « Leur précarité n’est pas la nôtre : critiques de la norme salariale et luttes sociales minoritaires (2003-2010) », E. Devriendt, in  Langage et société n°159, 2017

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