Pourquoi la 26ème COP ne sauvera pas le monde

La 26ème Conférence des Partis, plus communément appelée « COP », s’est déroulée à Glasgow, Ecosse, du 31 octobre au 12 novembre 2021. Elle a été menée par le conservateur britannique Alok Sharma. Si l’événement a été largement commenté à travers de nombreux scandales, depuis les cohortes de jets privés aux larmes de Sharma lorsqu’il s’agissait de signer des accords qu’il jugeait trop faibles, il est important de faire le point sur ce que cette COP, ainsi que les précédentes, ont réellement apporté à la lutte contre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). 

Le rapport Meadows, Les limites à la croissance, premier document sérieux attestant du danger du réchauffement climatique, est paru en 1972. On y évoque déjà l’impossibilité d’existence d’un système cherchant à maintenir indéfiniment sa croissance. Or, cinquante ans plus tard, Emmanuel Macron peut encore prétendre à l’établissement d’une mythique « croissance verte » : notre président veut « réconcilier la croissance et l’écologie de production », comme il l’affirmait dans son communiqué public du 12 juillet 2021. De même le rapport Meadows fait le rapprochement entre utilisation des énergies fossiles et réchauffement climatique. Ce n’est pourtant qu’au bout de la 26ème COP que « pour la 1ère fois lors d’une COP, il est écrit qu’il faut réduire notre dépendance aux énergies fossiles », comme l’a noté Barbara Pompili, ministre française de la Transition écologique.

Il s’agit donc d’affronter le problème. De cesser de tergiverser pour prendre des décisions fortes. Et, à entendre les propos des décideurs internationaux, c’est précisément le but des COP : engager un processus vertueux qui limitera les émissions de GES pour protéger le climat planétaire. C’est bien dans cette idée que s’est tenue la COP26 de Glasgow.En 1990, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat) publie son premier rapport. Alarmant, il provoque dès 1992 une réaction de l’ONU, qui fait adopter par 154 pays à la première COP, la Convention de Rio, la Convention-Cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Il s’agit de reconnaître une responsabilité collective mais différenciée dans le réchauffement du climat, et de réagir tout en préservant le droit au développement de chaque pays. En 1997, les pays signataires du Protocole de Kyoto prennent une décision forte : de 2008 à 2012, ils s’engagent à réduire de 5% les émissions de six GES par rapport au niveau de 1990. En 2015, la COP21 de Paris aboutit à un engagement majeur : chaque pays signataire réduira ses émissions de GES de manière à ce que le réchauffement climatique n’outrepasse pas les 1,5 °C d’ici 2100. En 2021 finalement, à la COP26 de Glasgow, ces accords sont revus à la baisse : il s’agit désormais de ne pas dépasser les 2 °C. Il apparaît donc à première vue que la communauté internationale a cessé d’ignorer le problème : cela fait trente ans qu’elle combat le réchauffement climatique, à grands coups de décisions fortes, de promesses osées et de déclarations enflammées.

Pendant ce temps-là, de 1990 à 2018, les émissions de GES ont progressé de 67,4 %, soit de 15,2 Gt de CO2.

Les climatologues Patrick Brown et Ken Caldeira de l’Institut Carnegie de l’université de Stanford ont estimé en 2017 dans la revue Nature que le réchauffement climatique sera plus important que les prévisions du GIEC de 2014 : ils annoncent une hausse de 3,2 à 5,9 °C d’ici 2100. D’après Aurore Lalucq, députée européenne et économiste, il faudrait diminuer de 50% en huit ans nos émissions de GES pour ne pas dépasser les 1,5 °C de réchauffement. Même en se reportant sur un objectif de 2°C maximum, il serait toujours nécessaire de diminuer de 33% nos émissions de GES. Il semble évident qu’un changement de paradigme s’impose si nous voulons tenir ces objectifs. Mais les décideurs refusent d’abandonner l’augmentation continue du PIB, estimant qu’il est possible de rendre compatible survie climatique et gain perpétuel économique.

De fait, nous sommes déjà entrés dans une logique de « croissance verte ». « Depuis 1990, la quantité de CO2 émise par unité de PIB a diminué d’un tiers dans le monde, tandis que le PIB lui-même a été multiplié par 2,5 » indique le ministère de la Transition écologique, dans son rapport Chiffres clés du climat, France, Europe et monde (2021). Il est vrai que ces dernières années, l’émission de GES a augmenté moins vite que le PIB. Et il est donc également vrai qu’il est possible de produire plus de PIB en réduisant l’impact sur le climat. Seulement, cette dynamique n’a pas empêché les émissions de GES d’augmenter drastiquement ces trente dernières années. La croissance verte est possible, mais elle n’est pas suffisante : tout simplement parce que dans un monde aux limites physiques définies, un système en croissance perpétuelle est nécessairement destructeur. C’est un concept d’une évidence accablante, et pourtant nos décideurs, parfois eux-mêmes des économistes, ne semblent pas le comprendre – ou refusent de le faire.

Aurore Lalucq le dit bien : le PIB est un indicateur périmé. S’il pouvait servir après la Seconde Guerre Mondiale dans un contexte de reconstruction matérielle des Etats, il n’a plus sa place aujourd’hui, ou du moins ne mérite pas l’importance qu’on lui donne. Et notre système économique, entièrement tourné autour du principe de croissance, est incapable de s’adapter aux mesures qui pourraient réellement faire la différence face aux émissions de GES. Voilà pourquoi, après trente ans de COP, rien ne change et tout s’aggrave : parce que, en dépit des apparences, nous continuons d’ignorer le problème. Nous refusons de prendre les décisions qui s’imposent parce qu’elles demanderaient une relecture complète de notre système économique, et donc social, et finalement de nos civilisations dans leur intégralité. Sauf qu’en voulant préserver ce que nous avons, en refusant de voir changer notre monde, nous risquons de tout perdre.

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ». Cette phrase écrite par Antoine de Saint Exupéry dans Citadelle (1948) est reprise par l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), en préambule du rapport sur la réalisation de mesures pouvant limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Les COP, aussi utiles soient-elles, ne sont que des planifications. Il semble grand temps désormais de passer à l’action.


Bibliographie :

  • The Limits to Growth, « Les limites à la croissance (dans un monde fini) », rapport de Donella et Denis Meadows et Jørgen Randers, 1972
  • Allocution télévisée du 12 juillet 2021 d’Emmanuel Macron (citation Emmanuel Macron)
  • Site gouvernemental, « Les décisions clés de la « COP 26 » contre le réchauffement climatique » (citation Barbara Pompili)
  • COP26 : Face à la crise climatique, croissance verte ou décroissance ?, émission du 28 minutes sur Arte (citations Aurore Lalucq)
  • Chiffres clés sur le climat, France, Europe et Monde, rapport du Ministère de la Transition écologique, 2021 (données statistiques sur le réchauffement climatique, via les sources EDGAR de 2019, SDES de 2019, Banque Mondiale de 2020)

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