Le 22 septembre 2021, Le Sommet des Dieux est sorti en salle. Il s’agit d’un film d’animation français de 1h34 réalisé par Patrick Imbert. Fukamachi, le protagoniste, un reporter alpiniste japonais, recherche un scoop pour son journal. Alors qu’il revient d’une expédition et qu’il erre dans Katmandou, il croit reconnaître Habu Kôji, une ancienne grande figure de l’alpinisme disparue depuis des années. Entre ses mains, il est certain d’avoir vu le Kodak Vest Pocket de Mallory : l’appareil photo qui permettrait enfin de déterminer si, oui ou non, Mallory et Irvine sont les premiers à avoir vaincu l’Everest. L’histoire suit deux vies parallèles se rejoignant par leur ténacité : Fukamachi veut absolument retrouver Habu et faire enfin la lumière sur l’expédition de 1924, tandis que ce dernier cherche à atteindre le sommet de l’Everest par un versant inédit et sans bouteille d’oxygène.
En 1922, une première expédition britannique tente de vaincre l’Everest. George Mallory, déjà connu à l’époque comme l’une des grandes figures de la discipline, participe à la tentative. L’expédition s’achève après un troisième essai infructueux : une avalanche tue sept porteurs sherpas et les alpinistes décident de revenir en Angleterre. En 1924, George Mallory et Andrew Irvine partent pour l’Himalaya et tentent une nouvelle fois de monter au sommet du monde. Cela leur est fatal : ils sont aperçus une dernière fois le 8 juin 1924, avant d’entamer leur troisième ascension. En 1999, une expédition américaine retrouve la dépouille de Mallory, congelée et en très bon état bien que l’alpiniste soit mort depuis 75 ans. Le corps d’Irvine est encore disparu à ce jour. Finalement, le mystère demeure entier : les expéditions n’ayant jamais retrouvé l’appareil photo des deux hommes, un Kodak Vest Pocket avec lequel ils devaient se photographier sur le mont Everest, il est impossible de dire s’ils ont été les premiers à atteindre le sommet du monde. Ce mérite est officiellement détenu par le sherpa népalais Tenzing Norgay et le néo-zélandais Edmund Hillary, ayant vaincus ensemble l’Everest en 1953.
Le japonais Baku Yumemakura publie en 1989 un nouveau roman d’aventure, Kamigami no itadaki, ou en français « Le Sommet des Dieux ». Jirō Taniguchi, mangaka ayant déjà traité d’alpinisme pour questionner la relation entre l’homme et la nature dans K (1988), obtient le droit d’adapter son œuvre en une série de mangas sortant de 2000 à 2003. C’est ainsi que l’œuvre est connue du public européen occidental : en 2005, elle reçoit le Prix du Dessin du 32ème festival d’Angoulême. En 2016 enfin, le réalisateur Hideyuki Hirayama et le scénariste Masato Katō adaptent l’histoire en un film live.
Le récit ayant déjà été traité sous de nombreuses formes, on pourrait estimer que l’apport de Patrick Imbert est négligeable. Cependant, avant d’être un réalisateur, Imbert est un technicien : animateur, directeur de la photographie, ingénieur son, il touche à tout dans la production.
Et c’est précisément le point fort de son œuvre. La technique est impeccable. Les dessins sont magnifiques, l’animation est réussie à tout point de vue, que ce soit lorsqu’elle transcrit le calme silencieux d’une ascension ou le chaos fracassant d’une avalanche. La musique du compositeur franco-tunisien Amine Bouhafa parvient de même à suivre les diverses ambiances du film, tout en ajoutant toujours une profondeur touchante au visuel. Surtout, le long-métrage trouve un rythme équilibré pour suivre les évolutions diverses de Fukamachi et Habu, montant crescendo au fur et à mesure des intrigues pour offrir une fin grandiose.
Mais si le film a su convaincre la presse comme le public (4,2/5 pour la presse, 4,3/5 pour le public d’après AlloCiné), ce n’est pas seulement pour ce qu’il montre : c’est aussi pour ce qu’il dit. Que ce soit Yumemakura, Taniguchi ou Imbert, les artistes ont tous utilisé Le Sommet des Dieux pour raconter quelque chose sur les hommes, leur désir d’aller toujours plus loin. Il ne s’agit pas seulement d’alpinisme : il s’agit de la dynamique générale d’une espèce qui ne cesse de repousser ses limites. Le Sommet des Dieux, c’est l’histoire d’individus endurants et acharnés s’étant donnés un objectif et allant jusqu’au bout pour le satisfaire. Ce n’est même pas cet objectif qui compte en soi : la seule question valide est de savoir s’ils sauront l’atteindre, et comment. Le Sommet des Dieux ne porte pas de jugement sur l’homme, mais dresse un constat. Pour Yumemakura, Taniguchi et Imbert, voilà ce que nous sommes : des alpinistes.
George Mallory a eu une phrase qui emblématise cette soif insatiable de relever tous les défis. Lors d’une conférence de presse à New York, les journalistes n’ont cessé de lui demander pourquoi il voulait tant gravir l’Everest. Il a alors prononcé les mots les plus connus de l’alpinisme : « Because it’s there », « parce qu’il est là ».
Bibliographie/Filmographie :
–Kamigami no itadaki, “Le Sommet des Dieux”, 5 tomes, mangas, Baku Yumemakura et Jirō Taniguchi, publié chez Shūeisha (Japon) et Kana (France), 2000-2003
–Everest : Kamigami no itadaki, film live, Hideyuki Hirayama, 2016
–Le Sommet des Dieux, film d’animation, Patrick Imbert, 2021
–First on Everest : The Mystery of Mallory & Irvine, Tom Holzel et Audrey Salkeld, publié chez Henry Holt and Company, 1986
–Last Climb : The Legendary Everest Expeditions of George Mallory, David Breashears et Audrey Salkeld, publié chez National Geographic Society, 1999